De l’intelligence artificielle à l’intelligence émotionnelle.
- Felipe Arancibia
- 3 juin
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juin

Nous avons besoin d’une nouvelle révolution éducative
Ma confession
Après quelques années en tant que professeur, j’ai commis un acte arbitraire : j’ai fait taire avec beaucoup de véhémence un jeune de 13 ans qui se trouvait dans ma classe. Je l’ai expulsé de la salle, non sans lui dire qu’il me manquait de respect parce qu’il avait ri bruyamment. J’ai consigné l’incident dans son dossier scolaire. Pendant ce temps, lui essayait de m’expliquer qu’il s’était passé quelque chose de drôle, qui n’avait rien à voir avec moi, et que c’est pour cette raison qu’il avait ri. Évidemment, je ne l’ai pas écouté.
Pour beaucoup de lecteurs, cela pourrait sembler être une situation habituelle ; une des nombreuses injustices que nous avons vécues durant notre vie scolaire.
Mais une fois le calme revenu, je me suis rendu compte que dans la vie, certaines choses nous font rire, et nous rions simplement. C’est la chose la plus normale du monde. Et peut-être que ce jeune avait raison : ce qui l’avait fait rire n’avait rien à voir avec moi, ni avec le respect, ni avec les règles, etc. C’était juste un rire. Rien de mal, quelque chose de tout à fait naturel.
En sortant de la salle, je lui ai demandé de m’accompagner pour parler. Il n’était pas très d’accord et m’a dit qu’il était en colère et ne voulait pas parler. J’ai respecté ce choix, et je suis revenu vers lui le jour suivant, lors de notre prochain cours. Je lui ai demandé de venir à mon bureau et je lui ai demandé ce qui l’avait fait rire. C’était quelque chose de très simple et naturel, et rien ne justifiait ma réaction excessive. Je me suis rendu compte que j’avais eu un comportement disproportionné.
Que fallait-il faire à ce moment-là ? La chose la plus naturelle — et parfois la plus difficile — pour un enseignant : présenter ses excuses. Mais j’ai aussi pensé que je devais réparer le mauvais moment que je lui avais fait passer. C’est pourquoi, à un moment du cours, j’ai interrompu l’activité et j’ai rappelé la situation de la séance précédente. J’ai expliqué que je m’étais comporté de manière excessive, inappropriée, et que j’avais pris toutes les décisions sans même écouter ce jeune élève. C’est pourquoi je lui avais présenté mes excuses en privé, mais comme la situation s’était produite publiquement, je devais aussi m’excuser publiquement, devant toute la classe. Et bien sûr, je devais consigner une nouvelle explication de l’incident dans son dossier scolaire, pour "annuler" ou du moins "équilibrer" l’enregistrement du jour précédent.
À la fin du cours, c’est le jeune qui m’a demandé de parler en privé. J’ai bien sûr accepté, et nous sommes allés dans mon petit bureau. Il m’a remercié pour ce geste, car cela lui avait fait du bien et lui avait paru juste. Mais ensuite, il m’a dit qu’il n’avait jamais vu un adulte présenter des excuses ni réparer un tort de cette nature. Il m’a dit qu’il avait du mal à apprendre à demander pardon, car personne ne le lui avait jamais appris. Pour moi, cela a été un véritable déclic.
Comment apprendre les compétences socio-émotionnelles, si le monde adulte ne les enseigne pas, et pire encore, semble ne pas les posséder ? Quelle importance cela a-t-il de les apprendre ?
Comment l’intelligence artificielle aidera les enseignants. Kai-Fu Lee, expert en IA
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Éduquer les compétences socio-émotionnelles
Ces compétences sont des aptitudes qui nous permettent d’interagir efficacement avec les autres et de réguler nos propres émotions. Elles incluent, entre autres, l’empathie, la résolution de conflits, les relations interpersonnelles, la collaboration, le leadership, etc. Sans elles, il nous serait difficile d’entretenir de bonnes relations avec autrui ou de comprendre ce qui nous arrive. Par exemple, si ton petit ami ou ta petite amie se sent triste, ta capacité à faire preuve d’empathie t’aidera à lui parler de manière appropriée, à essayer de comprendre ce qu’il ou elle ressent et à lui apporter ton meilleur soutien. Cela s’applique évidemment aussi dans le monde du travail.
Est-il nécessaire d’éduquer ces compétences au début de la révolution que marqueront les intelligences artificielles ? Évidemment, oui. Le problème aujourd’hui n’est plus de “remplir” les cerveaux de contenu, puisque l’information est désormais accessible sans limite. Si les machines accompliront une grande partie de notre travail, le véritable “défi” sera alors de redevenir pleinement humains, de nous concentrer sur ce qui fait de nous des êtres humains : être compatissants, empathiques, etc.
En ce sens, la figure de l’enseignant sera essentielle, car il devra guider l’apprentissage de ces compétences en étant lui-même un modèle, une référence pour montrer comment résoudre les problèmes, comment on peut être triste sans pour autant agresser les autres, savoir demander pardon, reconnaître ses erreurs, etc. Et ici, nous devons admettre qu’il existe une grande lacune dans le monde des adultes — enseignants compris.
C’est pourquoi une grande réforme de la formation des enseignants sera nécessaire — peut-être même plus importante que celle de la fin des années 1990 et du début des années 2000, lorsque les enseignants ont dû être formés au numérique pour accueillir Internet comme un nouvel allié auquel il était impossible de résister.
Si nous voulons que nos jeunes soient plus humains, qu’ils se distinguent des machines, nous avons besoin d’enseignants et de systèmes éducatifs plus humains et émotionnellement sécurisants, afin que l’adulte puisse être un véritable modèle. Nous avons besoin que les enseignants soient conscients de ce qu’ils ressentent, de leurs propres émotions, qu’ils sachent écouter avant d’appliquer la rigueur des règles. Les enfants doivent apprendre à reconnaître ce qu’ils ressentent. Il nous faut la sagesse de comprendre que si un enfant est en colère, c’est peut-être parce qu’il est triste, et non parce qu’il cherche à s’opposer aux règles de l’école.
Pour atteindre cet objectif, l’effort individuel de certains enseignants ne suffira pas : il faut une politique publique éducative forte, qui repense les besoins des futurs travailleurs dans le contexte de cette nouvelle révolution technologique.
Face à l’ère de l’intelligence artificielle, nous devons aussi proposer l’ère de l’intelligence émotionnelle.
« Que la révolution de l’apprentissage commence ! »
Clique sur l’image si tu veux écouter cet excellent exposé (plein d’humour et de sagesse) de Sir Ken Robinson.
Juste une petite note en bas de page : Ce jeune, que j’avais traité avec tant de rigueur et d’injustice, a continué à parler avec moi, même après avoir changé d’école. Ce fut beau de voir comment une relation, d’un moment de rupture, peut évoluer vers une relation qui se renforce. Il m’a dit qu’il continuait à parler avec moi parce qu’il voulait apprendre à devenir un “adulte”. Quant à moi, il me rappelait que je devais apprendre à écouter et à être humble.
Felipe Arancibia Labraña
Professeur
Master en psychologie de l’éducation




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